Emplastiquer des animaux en déchets comme on les empaillait jadis pour s’enorgueillir de les avoir dominés m’a toujours paru obscène.
C’est presque à contrecœur, pour forcer le déconfort, que l’exercice s’est imposé ici une troisième fois. Une première fois, un ours polaire dérivait sur un confetti de glace. Une deuxième fois, une raie planait sous la vague. Notre attention et notre affection se focalisent vite sur ces peluches emblématiques de la mer. D’autres espèces n’ont pourtant rien à leur envier en termes de photogénie, sans pour autant bénéficier de notre admiration. Alors voici une troisième tentative pour remédier à cette injustice. Et comme j’aime les nus, voici un nudibranche.
Le Glaucus Atlanticus, ou dragon bleu des mers, est une petite limace de mer, mollusque nu, sans coquille, de 3-4 centimètres. Cette petite bébête, à la robe argent et bleu électrique, se goinfre de la « flotte bleue », que nous avons davantage l’habitude de rencontrer échouée sur nos plages : vélelles et physalies, et à l’occasion porpites et janthines, toutes gorgées de ce venin fatal qui leur donne leur couleur bleue violacée. Le Glaucus est assez malin pour faire sien ce joli venin. Plancton, il est tributaire des courants qui dictent sa trajectoire. Il n’en est pas moins ingénieux, car quand il est impossible de s’approcher de partenaires, autant être sûr de scorer à chaque rencontre, en se faisant hermaphrodite. Se laissant flotter dans les courants en faisant la planche, ventre à l’air dans l’immensité liquide, il maitrise l’esquive des prédateurs : sa face ventrale bleue, comme l’eau de surface, le rend invisible aux oiseaux, sa face grise comme le ciel sous la surface le rend invisible aux poissons. Il est libre Max.
Tant d’intelligence dans un si modeste petit être aurait dû lui valoir un nom plus poétique et élogieux, car de glauque, il n’y a ici que le matériau qui le compose et l’entoure. Non, ce n’est pas du sable fin.